Égalité des chances : la classe préparatoire intégrée et les stages égalité théâtre de la Comédie de Saint-Étienne
Tout au long de la saison 23/24, découvrez un temps fort ou une facette d’une école ou classe préparatoire de CDN. Ce mois-ci, zoom sur le programme “Égalité des chances” créé en 2014 par Arnaud Meunier, alors directeur de la Comédie de Saint-Étienne, avec le soutien de la Fondation Culture & Diversité et la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Cette initiative – la première en France à l’époque -, qui permet aux jeunes issu·e·s de milieux modestes d’intégrer une classe gratuite d’un an afin de préparer les concours aux Écoles supérieures d’art dramatique en France, a depuis fait des émules. Entretien avec Christel Zubillaga, “comédienne référente de la classe préparatoire intégrée” (CPI) de la Comédie de Saint-Étienne.
De quel constat est né le programme Égalité des chances ?
Le premier axe a été mis en place par Arnaud Meunier il y a 10 ans. Directeur de la Comédie de Saint-Étienne et donc de l’école, il s’est aperçu que les jeunes gens qui venaient présenter les concours avaient tous les capacités financières pour s’y préparer. Cela ne lui semblait pas refléter le paysage d’une population plus diversifiée socialement et géographiquement. L’idée a donc germé de créer une classe préparatoire intégrée à l’intérieur de La Comédie pour mieux représenter cette pluralité.
Quel en est le principe ?
La Classe préparatoire intégrée a été la première classe de théâtre en France à recruter sur des critères socio-économiques. Nous accueillons donc des jeunes de milieux modestes, qui peuvent aussi être en rupture avec le système scolaire. J’ai envie de dire que plus iels sont “éloignés”, plus la classe va être faite pour iels.
L’enseignement dure un an et propose une formation accélérée, similaire à ce qui est dispensé en conservatoire, pour préparer aux concours des Écoles supérieures d’art dramatique. Le recrutement se fait sous trois conditions : avoir entre 18 et 23 ans, être boursier·e et avoir déjà pratiqué le théâtre. Il n’y a pas d’audition d’entrée puisqu’on les prépare justement toute l’année à passer des auditions. Mais nous avons un entretien assez long et poussé pour évaluer leur motivation.
Ce qui est important, outre la situation économique, c’est d’avoir fait du théâtre au préalable, même de façon minime – lors de stages égalité théâtre par exemple. Il faut qu’il y ait un profond désir, en connaissance de cause, car cela demande un réel investissement. Parfois on leur conseille d’en faire d’abord avant de se représenter. Une fois inscrit·e·s, l’année ne coûte rien aux élèves, afin qu’iels se focalisent sur leurs études et se donnent les moyens d’entrer dans une école : tout est pris en charge par la Comédie de Saint-Étienne et la Fondation Culture & Diversité, jusqu’aux frais de dossiers pour présenter les concours.
Quelle pédagogie proposez-vous ?
Nous avons le même fonctionnement qu’une école supérieure mais avec des professeur·e·s fixes. Nous sommes 4 comédien·ne·s référent·e·s : Heidi Becker Babel, Cécile Bournay, Thomas Jubert et moi, qui travaillons de façon récurrente à la Comédie de Saint-Étienne. Myriam Djemour est professeure de voix (chant). Puis nous avons des cours de “corps” (danse, yoga…) avec Bryan Eliason, et quelques masterclasses : clown, vidéo, écriture avec des autrices…
Le point de départ, c’est de construire un groupe, en travaillant sur la confiance et la bienveillance, dont certain·e·s ont manqué dans leur cursus. Ensuite, on va aborder doucement la lecture, apprivoiser le plateau, chercher aussi quel·le artiste chaque personne veut être, en gardant sa singularité, ce qui est très important. On va beaucoup lire, pour constituer un héritage commun, une caisse à outils de textes, de langages du plateau. On doit aussi répondre aux exigences de chaque école pour les concours : alexandrins, textes d’écrivain·e·s contemporain·e·s vivant·e·s, textes d’écrivaines femmes… Et enfin, petit à petit, on va se diriger vers des choix de scènes pour les différents concours.
Quel est le taux de réussite aux concours ? Et comment se passe l’après pour les heureux·ses élu·e·s, notamment financièrement ?
Nous avons toujours au moins un·e élève reçu·e quelque part et en moyenne, c’est une moitié de promotion qui entre chaque année dans des écoles supérieures ! C’est un très bon résultat, alors même que nous ne cherchons pas à “faire du chiffre”.
S’iels sont pris·e·s dans une école, la Fondation Culture & Diversité continue à les financer. C’est très difficile d’entrer dans une école. Depuis le Covid, on se donne la possibilité de garder un·e élève une année de plus pour qu’iel réussisse l’année suivante. Dans ce cas, iel reste boursier·e…
Nous essayons d’accompagner nos élèves de façon individuelle, parfois même pour des changements de voie et de garder le contact au maximum après leur passage chez nous.
Quel est le lien entre les stages « égalité théâtre » (SET) et la classe préparatoire intégrée ?
Les stages sont venus après la classe prépa, inspirés d’un programme canadien. C’est différent, il n’y a pas de résultat attendu à la fin, c’est vraiment une immersion “découverte” sur un temps de vacances scolaires. Durant 4 jours, en février et au printemps, 20 à 30 jeunes de 18 à 23 ans, répartis en 3 groupes, font du théâtre comme s’iels étaient dans une école supérieure, avec l’un des quatre comédien·ne·s référent·e·s, la prof de voix, le chorégraphe (échauffements, trainings physiques…), un·e auteur·rice, des comédien·ne·s intervenant·e·s… Nous les invitons à un spectacle de la programmation quand cela s’y prête, à une répétition, à une visite du théâtre. Nous en profitons pour répondre aux questions sur le milieu, les métiers, l’orientation. Et nous avons une nouveauté depuis 2 ans, dont je suis très fière : l’intervention d’un·e ancien·ne élève de la classe prépa. Quel·le meilleur·e ambassadeur·rice pour s’adresser aux jeunes et leur donner envie de s’inscrire ?
Là aussi, tout est gratuit et pris en charge par la Comédie de Saint-Étienne et ses partenaires : la Cour des Trois Coquins, le TNG de Lyon, la Comédie de Valence, la MC2 de Grenoble…
En 10 ans, qu’est-ce qui a changé, quel bilan tirer de ce programme ?
On s’adapte au fil du temps et de ce qu’on découvre, on module un peu les plannings. Les deux premières années, la moitié des élèves séchaient les cours de danse car iels n’en voyaient pas l’intérêt. Nous avons transformé la proposition pour travailler une fois par semaine le corps avec le prof d’interprétation. L’exemple paraît tout bête mais il a été une révélation, le lien entre la corporalité et le texte n’était pas si évident pour les jeunes !
Avec le Covid, les concours ont aussi changé, certains demandent une vidéo pour le premier tour, c’est une nouvelle façon de travailler pour nous aussi : apprivoiser le texte devant une caméra.
84 : nombre d’élèves accueilli·e·s dans la CPI en 10 ans
50 % : taux de réussite aux concours sur les 10 ans
10 : nombre moyen d’artistes intervenant·e·s chaque année
Que dire à un·e élève qui souhaiterait intégrer la classe prépa sans oser franchir le pas ?
Venez découvrir par vous-même, à la Comédie de Saint-Étienne ou ailleurs, car il existe désormais d’autres programmes sur ce modèle en France ! Ici, nous travaillons au cas par cas : je veux créer les choses sur mesure avec chaque nouvelle promotion, les personnes qui sont en face de moi, leur curiosité, leur personnalité, leur histoire – qui est précieuse. Personne n’a jamais abandonné en cours de route et certain·e·s ont fait carrière. Chacun·e a donc sa chance !