Déclaration commune des réseaux nationaux du spectacle vivant
Le 18 décembre 2024,
Dans un discours resté célèbre, prononcé le 11 novembre 1848 devant la représentation nationale, Victor Hugo mettait déjà en garde contre la tentation de faire des économies sur les arts et les lettres :
« Personne plus que moi, messieurs, n’est pénétré de la nécessité, de l’urgente nécessité d’alléger le budget ; seulement, à mon avis, le remède à l’embarras de nos finances n’est pas dans quelques économies chétives et contestables. Les réductions proposées sur le budget spécial des sciences, des lettres et des arts sont mauvaises doublement : elles sont insignifiantes au point de vue financier, et nuisibles à tous les autres points de vue. Que penseriez-vous, messieurs, d’un particulier qui aurait 1.500 fr. de revenus, qui consacrerait tous les ans à sa culture intellectuelle par les sciences, les lettres et les arts, une somme bien modeste, 5 francs, et qui, dans un jour de réforme, voudrait économiser sur son intelligence six sous ? Voilà, messieurs, la mesure exacte de l’économie proposée. Eh bien, ce que vous ne conseilleriez pas à un particulier, au dernier des habitants d’un pays civilisé, peut-on le conseiller à la France ? »
Notre pays traverse aujourd’hui une crise politique et budgétaire sans précédent.
Pour y faire face, les pouvoirs publics – État et collectivités territoriales – se sont engagés dans une politique de réduction des dépenses publiques qui touche aujourd’hui violemment le secteur des arts et de la culture.
Nous, réseaux de structures œuvrant pour des missions de service public et d’intérêt général, ne prétendons pas que le secteur de la culture doive échapper à l’effort collectif.
Mais nous voulons rappeler ici que la contribution décisive du secteur culturel à la dynamique sociale et économique de notre pays n’est plus à démontrer. Les artistes, les compagnies, les ensembles, les opéras, les orchestres, les théâtres, les salles de spectacles et de concerts, les cirques, les festivals, … sont aujourd’hui des éléments essentiels de la vitalité des territoires. Le réseau dense d’établissements et d’initiatives culturelles, patiemment bâti au fil de décennies de politiques publiques en faveur des arts et de la culture, constitue aujourd’hui une dimension fondamentale de notre histoire et de notre identité.
Le laisser se déconstruire et dépérir au nom d’économies de court terme risque d’hypothéquer gravement notre avenir commun.
Le spectacle vivant public n’est pas réservé à l’entre-soi confortable d’une élite cultivée. Bien au contraire, tout l’effort des politiques publiques dont nous sommes les actrices et les acteurs consiste précisément à élargir toujours davantage l’accès de nos concitoyennes et concitoyens à la culture, que ce soit en proposant des tarifs qui n’excluent aucune catégorie de public, ou en rapprochant l’offre culturelle de celles et ceux qui, pour des raisons sociales ou géographiques, s’en trouvent éloignés. Le travail patient et rigoureux que nous accomplissons sur les territoires où nous agissons, dans les salles ou dans l’espace public, a toujours pour but de partager le plus largement possible aussi bien les innovations de la création contemporaine que le patrimoine musical, théâtral, littéraire, chorégraphique, circassien… de notre pays.
Le maintien résolu d’une culture vivante relève d’une véritable écologie de l’esprit, indispensable à l’invention de futurs désirables. Dans le cadre de nos missions de service public, nous participons à l’émancipation des citoyennes et des citoyens et au maintien de la cohésion sociale des territoires. Dans une époque marquée comme la nôtre par des défis inouïs, il s’agit là d’un véritable investissement d’avenir, sur lequel il est particulièrement périlleux de vouloir économiser.
C’est pourquoi il nous semble essentiel, en raison même de la crise que traverse actuellement notre pays, que soit préservé l’écosystème précieux de la culture vivante.
Son histoire, sa richesse, sa diversité, son engagement résolu et citoyen, constituent des repères et des facteurs de stabilité, alors même que nous sommes entrés dans des temps particulièrement troublés.
Les coupes franches envisagées par certaines collectivités territoriales, ajoutées aux 200 millions d’économie imposées par l’État au secteur de la création en 2024, et alors même que les plus grandes incertitudes pèsent sur le budget 2025, viennent aujourd’hui gravement affaiblir un secteur déjà très éprouvé par les crises successives de ces dernières années.
La fragilisation du principe de cofinancement des collectivités territoriales et de l’État remet en cause la cohérence des politiques publiques pour la culture, jusqu’alors définies par une ambition commune artistique, culturelle et sociale.
Nous nous alarmons de constater qu’en de nombreux endroits, le remède sera à terme bien pire que le mal qu’il prétend traiter.
Pour la première fois depuis plusieurs décennies est menacée la capacité-même de nos organisations, qu’elles soient en charge de la création ou de la diffusion, à soutenir tout projet artistique et culturel dans les domaines de la danse, du théâtre, de la musique instrumentale et lyrique, des musiques actuelles, du cirque, de la marionnette et des arts de la rue.
Pour la première fois depuis plusieurs décennies, c’est donc la capacité à réaliser nos missions de service public qui est fondamentalement remise en question.
Les conséquences des premières annonces ne se sont pas fait attendre : c’est l’existence-même des artistes et des équipes artistiques qui est en jeu, autant qu’une part importante du dynamisme économique des territoires.
Signataires
ACCN – Association des Centres chorégraphiques nationaux
A-CDCN – Association des Centres de développement chorégraphique nationaux
ACDN – Association des Centres dramatiques nationaux
A-CNAREP – Association des Centres nationaux des arts de la rue et de l’espace public
aCNCM – Association des Centres nationaux de création musicale
AFO – Association Française des Orchestres
ASN – Association des Scènes nationales
FEDELIMA – Fédération des lieux de musiques actuelles
France Festivals
Latitude Marionnette – Association des Centres Nationaux de la Marionnette
ROF – Réunion des Opéras de France
Territoires de Cirque
Contact : contact@reseauxspectaclevivant.fr